Israël-Palestine
: en attendant la feuille de route, un pas de deux pour garder
l'espoir
Alors
que le énième plan de paix, la "feuille
de route", est mis en branle pour aboutir en 2005 à
une paix globale au Proche Orient, alors que d´aucuns
misent déjà sur son échec prévisible
et s´en frottent les mains, d´autres travaillent
depuis longtemps déjà pour la Paix, en semant
les graines d´un avenir meilleur en faisant table rase
de la politique et en ne travaillant que le culturel.
Daniel
Barenboïm et Edward W. Said (1) oeuvrent depuis plus
de dix ans à instaurer un dialogue de liberté
avec comme point d´orgue la musique. L´un est
chef d´orchestre, l´autre professeur de littérature
comparée à Columbia. De cette passion commune
qui poussa le hasard à les faire se rencontrer dans
un palace londonien en 1990, naquit une amitié faite
de respect et d´échanges.
Chacun voulant faire le pas qui pourrait le rapprocher plus
près de l´autre, ils s´écoutèrent
et se parlèrent.
Le juif et l´arabe de nouveau réunis pour éclairer
l´oraison funèbre de Sharon (auquel le premier
ne se reconnaît en rien) et d´Arafat (avec qui
Said a coupé les ponts depuis plus de dix ans, lui
qui s´était engagé dans l´OLP avec
l´idée de participer à une cause juste,
et qui, comme Darwich, dénonça les accords d´Oslo
et se retira de la vie politique) : ainsi les deux compères
éclairent-ils d´un nouveau soleil cette région.
Conscients tous deux que " l´idée de séparer
les peuples n´aboutit jamais à rien ", ils
décident d´organiser à Weimar - à
l´occasion du 250ème anniversaire de la naissance
de Goethe, auteur du West-östlicher Divan, modèle
d´attention à l´autre dont tous deux se
réclament - un atelier musical et philosophique en
invitant des musiciens israéliens, palestiniens, égyptiens,
syriens, libanais ... Ainsi de jeunes virtuoses ont pu, grâce
à la pratique de la musique, se rencontrer et se parler
enfin, au-delà des idéaux abscons et des frontières.
Ils apprirent que l´on "doit accepter l´idée
[de mettre] de côté sa propre identité
afin d´explorer l´autre", et qu´il
est "possible [d´avoir] chacun la capacité
d´être plusieurs choses à la fois".
Tous ces jeunes partagèrent une expérience commune
et démontrèrent une nouvelle fois que "l´ampleur
de l´ignorance de l´Autre" est sans limite
: "Les jeunes Israéliens ne pouvaient imaginer
qu´il existait des gens à Damas, à Amman
ou au Caire sachant jouer à merveille du violon et
de l´alto."
Le rideau de fer qui sépare l´état hébreu
du reste du monde, et surtout de ses proches voisins, est
digne de la muraille de Chine ou du mur de Berlin. Mais grâce
à Barenboïm et Said, ces jeunes sont passés
du statut "d´ennemi" à celui de "musicien",
puis d´humain. Car il y a toujours quelque chose à
apprendre de l'autre.
A la fin de cette rencontre internationale, tout le monde
avait un visage humain, ses qualités et ses défauts,
ses différences et ses origines, mais tous étaient
les locataires d´une même terre sur laquelle ils
devraient apprendre à vivre ensemble en partageant
: après cette expérience commune, ils étaient
prêts à envisager de partager d´autres
richesses.
La
"discussion" entre nos deux virtuoses s´est
poursuivie par des conférences communes, de longs entretiens
enregistrés sur bandes magnétiques, des échanges
toujours plus poussés qui, aujourd´hui, sont
recomposés dans le livre qui paraît ces jours-ci.
Outre les quelques répétitions qui déçoivent
un peu quand on connaît le nombre d´heures qui
ont été laissées de côté,
et une préface inutile de l´instigateur de cet
ouvrage, PARALLÈLES & PARADOXES est un petit moment
de bonheur tant il parvient à nous redonner le sourire
en parlant d´une région et d´une Histoire
qui ont perdu toute trace d´humanité. Par la
magie de la musique qui est " l´art de l´illusion
", et du poète qui " produit du silence,
mais pas seulement ", les idées germent vers un
sens commun : le respect de l´autre dans la recherche
de la paix.
Edward
W. Said s´engage pour le concept de la laïcité
d´intelligence. Notion qu´il partage avec un autre
bâtisseur de paix, Michel Warschawski, l´un des
Israéliens fondateurs des mouvements pour la Paix,
premier partisan du dialogue avec les Palestiniens - qu´il
paya de plusieurs mois de prison -.
Tous deux prônent le concept d´origine - la stricte
séparation du privé et du public, de l´adhésion
individuelle et de l´obligation collective - pour donner
aux hommes un modèle de société tolérante
axée sur le culturel.
Barenboïm ne peut qu´acquiescer dans un clin d´oeil
: pour ne pas sombrer dans le choc des civilisations si cher
à certains "va-t´en-guerre", il nous
faut un pilier pour bâtir, une pierre angulaire, un
nombre d´or : il nous faut une culture intégrale,
une culture "holistique", c´est-à-dire
qui induit la spiritualité dans les arts et la littérature.
L´homme ne peut se satisfaire d´un monde purement
profane, technique, scientifique, sans chaleur, car cela menace
l´identité même de l´espèce
humaine.
Lisez
PARALLÈLES & PARADOXES pour vous réconforter
avec les idées, pour croire encore en l´homme.
(1) Daniel Barenboïm, citoyen israélien, né
en 1942 à Buenos Aires de juifs russes émigrés,
dirige conjointement l´Orchestre symphonique de Chicago
et le Deutsch Staatsoper de Berlin ;
Edward W. Said, né en 1935 à Jérusalem,
au sein d´une famille palestinienne chrétienne,
a grandi au Caire avant d´étudier aux Etats-Unis
où il enseigne à l´université Columbia
de New York la littérature comparée.