" Haute fidélité " a été porté à l'écran par Stephen Frears : c'est un
signe, Nick Hornby est un jeune auteur qui a trouvé un créneau porteur. Mais de quoi
s'agit-il ? En vérité, de rien de bien sensationnel. Il semble à l'inverse que les
héros de Nick Hornby soient tous d'une banalité à pleurer et que ce soit précisément
cette caractéristique qui fasse le succès de ses romans : la banalité ne fait en effet
pas verser de chaudes larmes à tout le monde et peut même valoir à un romancier un
succès mondial. Résumons
rapidement l'intrigue : Rob a 36 ans, habite Londres et se demande " Qu'ai-je fait de
ma vie ? ". Il a la particularité de posséder un magasin de disques et d'avoir des
collaborateurs d'une bêtise fascinante. Il est un peu mieux loti : narrateur de son
histoire, c'est un homme moyen et fier de l'être :
" Physiquement, je suis correct (!) Une petite amie m'a dit un jour que je
ressemblais à Peter Gabriel, et il est pas mal, non ? Je suis de taille moyenne, pas
mince, pas gros, sans pilosité aberrante sur le visage, je suis propre, je porte un jean,
un T-shirt et une veste de cuir plus ou moins tout le temps, sauf l'été, où j'abandonne
la veste de cuir. Je vote travailliste. J'ai une pile de cassettes vidéo de séries
comiques de la BBC. Je comprends ce que veulent les féministes, en général, sauf les
plus extrémistes. "
En bref : ni beauf, ni intello, entre les deux son coeur balance. Et logiquement une
étrange sensation de vide existentiel l'étreint et l'angoisse, c'est l'âge (de raison
?). Pas de femme, pas d'enfants et une volonté de dresser un bilan, de faire l'inventaire
de sa vie, de ses échecs et de ses conquêtes.
Car mieux vaut le préciser tout de suite : le narrateur du roman de Nick Hornby ne fait
pas le bilan de sa vie à partir de questions hautement existentielles ou de philosophie
analytique. Ce qui l'intéresse et ce dont il se souvient, c'est une seule et même chose
: sa vie sexuelle et en particulier le nombre de ses conquêtes féminines. L'idée
directrice du roman est à la fois simple et particulièrement bien trouvée (les deux
constituent sans doute la recette moderne du succès populaire et critique) : le bilan
d'une vie à travers les yeux d'un homme simple et auquel tout lecteur (de sexe masculin,
est-il besoin de le préciser ?) est à même de s'identifier.
L'identification fonctionne merveilleusement, à croire que l'auteur a réuni dans son
narrateur toutes les qualités et les quelques défauts qui constituent le parfait
specimen du mâle contemporain dans la civilisation occidentale! Rob n'est en effet ni un
parfait salaud ni un amant plus attentionné que la moyenne. Il trompe les femmes qu'il a
aimées après un délai raisonnable, est peu sûr de la qualité de ses performances
sexuelles (" je doutais sans cesse de mon savoir-faire comme amant ") et ressent
une dose acceptable de culpabilité. Il sait que son bagage culturel n'a rien de
sensationnel- mais ses connaissances musicales sont encyclopédiques, ce qui peut
s'avérer fort utile en matière de drague- et se tient au courant de l'actualité. Il
possède également des techniques de séduction éprouvées. A titre d'exemple, citons la
recension de son aventure avec une aimable chanteuse américaine, prénommée Marie :
" Marie est ma dix-septième maîtresse. " Comment il fait ? vous
demandez-vous. Il porte des pulls moches, il traite mal sa petite amie, il est grincheux,
il est fauché, il traîne avec les Rockers Jumeaux Imbéciles, et il arrive quand même
à coucher avec une chanteuse américaine qui ressemble à Susan Dey. Où est l'embrouille
? "
" Et vous savez comment je m'y prends ? Je pose des questions. C'est tout. C'est mon
secret. Si quelqu'un voulait savoir comment emballer dix-sept femmes, ou plus, ou moins,
c'est ce que je lui dirais : pose des questions. "
Simple et efficace, n'est-ce pas ?
" Haute fidélité " n'est
pas pour autant un parfait manuel du séducteur. Il est également destiné à arracher un
sourire au chaland largué par sa compagne et qui se pose quantité de questions en
conséquence. Nick Hornby fait ¦uvre de salubrité publique : son roman a certainement eu
le mérite d'éviter la dépression à un nombre non négligeable de citoyens de sexe
masculin, voire de les en sortir. Remettre le mâle contemporain dans le droit chemin-
celui de la séduction bien ordonnée et du machisme ayant assimilé le "
politiquement correct ", en bref faire la nique à la liberté sexuelle des femmes en
leur opposant celle des hommes. L'homo britannicus parfait qu'est Rob est une figure
allégorique de l'homme occidental dans toute sa splendeur : il a assimilé le féminisme
(du moins le prétend-il) et traite ses compagnes en conséquence. Il n'est pas maître de
ses désirs mais tente de les maîtriser. S'il cède, il faut bien se souvenir qu'il n'est
pas le premier et que la vertu parfaite est chose fort rare.
S'il venait à l'idée du lecteur de juger le narrateur de l'histoire, c'est qu'il oublie
de se regarder dans le miroir :
" Avant de me juger- mais c'est sûrement fait- sortez d'ici et notez les quatre
pires choses que vous ayez faites à votre partenaire, même si- surtout si- votre
partenaire n'est pas au courant. N'enrobez pas ces choses, n'essayez pas de les expliquer
; notez-les, c'est tout, faites-en la liste la plus sèche possible. Ça y est ? Alors, le
sale connard, c'est qui ? "
Là encore, le conseil est simple et efficace. Résigné et victime d'un chantage, le
lecteur poursuit donc en s'identifiant toujours plus au narrateur dont les échecs
amoureux s'accompagnent d'une bonne volonté presque émouvante étant données les
circonstances. Souvenons-nous en effet que Rob possède un magasin de disques : l'endroit,
bien que miteux, permet d'attirer la gent féminine dans des filets habilement tissés.
Quand en plus on fait office de DJ dans des soirées, l'affaire est entendue.
Rob, enfin, à l'occasion de sa rupture avec Laura, retrouve une à une les femmes qui ont
marqué sa vie. Le but affiché étant d'alléger sa conscience et de ne plus avoir de
regrets. Les femmes en question n'en valaient pas la peine, on s'en doutait :
" Bon, encore une que je peux m'ôter de la tête. Pourquoi je n'ai pas fait ça
plus tôt ? " La fin ? Tout en nous abstenant de la révéler, signalons que la
morale de l'histoire est parfaitement banale elle aussi, c'est-à-dire que les apparences
sont sauves et que notre homme paraît (re)trouver le chemin de la stabilité affective.
Alors, devrait-on conseiller "
Haute fidélité " et trouver à ce roman de nombreuses qualités ? Il est permis
d'en douter. Littérairement parlant (après tout, cela compte), force est de constater
que Nick Hornby n'est pas un styliste et ne prétend nullement l'être. Au contraire,
toute la recette de son succès est basée sur le langage commun utilisé par l'écrivain,
ni trop vulgaire, ni trop soutenu et sur le caractère désespérément "moyen "
de son narrateur. Au moins ne manque-t-il pas d'humour et d'autodérision.
A travers les pérégrinations londoniennes d'un trentenaire comme il en existe tant, le
lecteur de sexe masculin trouvera sans doute de quoi oublier les incertitudes touchant aux
divers problèmes de la masculinité dans la civilisation occidentale. Il pourra aussi
constater qu'on peut parler de sexe sans forcément verser dans le sexisme- ou du moins en
s'en défendant, ce qui est un moindre mal. Quand aux lectrices, elles pourront trouver
Rob attachant, immonde ou amoral, selon leur humeur. " Haute fidélité " est en
tout cas plutôt destiné aux hommes, et, par extension, à leur compagnes du moment.
Nick Hornby tente de redonner confiance à un sexe qui se sent lâché par l'autre,
incompris, mal en point en définitive. Il ne le fait pas via la grande littérature, au
contraire, mais en utilisant un style simple (voire simpliste) et direct : la recette
fonctionne, reste à savoir si l'interêt littéraire est au rendez-vous. Il nous semble
plutôt qu'il s'agit d'un témoignage sur les relations entre les sexes, vues du côté
masculin, à Londres, à la fin du XXème siècle. Un interêt historique à défaut d'un
interêt littéraire ?
Eva
Domeneghini
|