3e partie
Entre bld de
la Bastille et rue de Charenton
–Enfin nous voilà à nouveau réunis pour partager ensemble le
plaisir de nos chères balades. D’abord, comment vas-tu, mon cher neveu après
de si longues semaines d’absence ?
–
Eh bien ! mon oncle, la pluie et la grippe
n’ont pas réussi à m’abattre… L’autre jour, histoire de prendre
le frais, je suis retourné sur les traces de notre précédente balade et
je me suis aperçu que nous avions oublié de parler d’un monument, sur
le quai Henri IV, monument dédié à la 1ere Armée française.
J’ai pris une photo pour te le montrer. La plaque est immense, un long
texte est gravé et, de chaque côté, des cartes d’Etat major
expliquent ce que fut cette page d’histoire : « Aux soldats
de la PREMIERE ARMÉE FRANÇAISE qui, devant l’HISTOIRE ont payé le
PRIX DE LA LIBERTÉ… » Discours de Charles de Gaulle du 23 avril
1968. De plus, ce monument est éclairé la nuit par des projecteurs ce
qui le rend féerique…
–Voilà
qui est bien travaillé, mon neveu !
Nous
sommes ici place de la Bastille.
Point de départ de notre nouveau périple qui va nous conduire par la rue
de Charenton, la rue Traversière jusqu’au boulevard Diderot devant la
gare de Lyon et devant l’emplacement de ce que fut la prison Mazas, célèbre
au moment du coup d’Etat du 2 décembre 1851.
Sur
notre droite le nouvel Opéra
Bastille, réalisé par
Carlos Ott, architecte d’origine uruguayenne et de
nationalité canadienne ! L’idée de départ est due à un trio
d’artistes : Vilar, Boulez et Béjart, qui, en 1968 présentèrent
un rapport pour la
construction d’un nouvel opéra. En 1981, le gouvernement de François
Mitterrand reprend l’idée à son compte en développant le concept
d’une véritable cité parisienne de la musique, comprenant en plus du
nouvel opéra, un grand auditorium, des salles de concert, un
Conservatoire national de musique, un musée de la musique, des
salles électro-acoustiques… L’opéra sera place de la Bastille sur
l’emplacement de l’ancienne gare et la Cité de la musique sera à La
Villette. On organise un concours auquel répondent 1650 architectes
venant du monde entier et 750 projets sont retenus. Pour l’Opéra
Bastille, le lauréat sera Carlos Ott. D’emblée, il a voulu placer son ouvrage à l’écart
de la place, de manière à ne pas «empiéter » sur la colonne de
Juillet. Il a su lui donner son propre espace. Les parties rondes
contiennent la grande salle de spectacle et les formes cubiques les
parties techniques. L’Opéra offre deux salles d’opéra, la principale
a une capacité de 2700 places consacrée aux grandes œuvres du répertoire.
Elle a été conçue à l’aide de l’informatique pour lui donner la
meilleure qualité acoustique possible. Son plateau technique est
remarquable : 18 espaces sur deux niveaux, des décors gérés,
actionnés par ordinateur et qui sont stockés afin de pouvoir présenter
plusieurs spectacles en même temps par le jeux des alternances. La
seconde salle, modulable, consacrée
à des œuvres expérimentales peut recevoir de 600 à 1000 places. Puis,
un studio de 300 places, un amphithéâtre de 500 places, une bibliothèque,
une vidéothèque et une discothèque complètent l’ensemble, sans
parler des salles de répétition pour l’orchestre,
les chœurs, le ballet, les chanteurs…
– Avant de quitter la place quelques mots sur l’ancienne gare
de la Bastille. Cette ligne fut inaugurée en 1859. La gare était
l’œuvre de l’architecte Berthelin. Dès les premiers jours, elle
offrit aux parisiens la possibilité de goûter aux charmes des environs
de la capitale, mais aussi et
surtout aux banlieusards de pouvoir venir travailler à Paris. La gare fut
construite en pierre et briques dans le style des maisons de la place de
la Bastille. Elle reliait dans un premier temps Paris à la
Varennes-Saint-Hilaire, si chère à Charles Trenet et atteignit, en 1875,
Brie-Comte-Robert et ensuite Verneuil-l’Etang.
–
Commençons notre balade par la rue
de Charenton. Cette rue conduit à Charenton, d’où son nom. Elle
porte ce nom depuis 1785, mais de 1800 à 1815, elle s’appelait Rue
de Marengo car le Premier Consul Napoléon Bonaparte avait fait son
entrée dans Paris par cette rue, après sa victoire à la bataille de
Marengo, le 14 juin 1800. Cette rue a une particularité, les numéros
pairs et impairs ne sont pas face à face dans l’ordre…
Au
n° 2 : Maison par laquelle Mgr
Affre se rendit, le 25 juin 1848, vers la barricade dressée à
l’entrée de la rue du Faubourg Saint-Antoine où il devait être
mortellement blessé. Nous retrouverons dans une prochaine balade ce prélat
rue du Faubourg St-Antoine, à l’emplacement même de la barricade où
il a été tué.
Au
n° 45 : Cour fleurie. Ce numéro est presque en face du 28 !
Au n° 28, arrêtons-nous devant La
caserne des Mousquetaires Noirs, bâtie
en 1699 pour une compagnie de mousquetaires appelés ainsi, nom qui venait
de la couleur de la robe de leurs chevaux. La Fayette y fit son
apprentissage militaire. En 1780, le cardinal Louis de Rohan qui était
administrateur de l’hospice des
Quinze-vingts y transporta les malades de cet hospice qui était
installé à l’époque rue Saint-Honoré. Après la Révolution, cet
hospice des aveugles fut géré par l’État. Cet hôpital avait été créé
par Saint-Louis en 1260 pour 300 aveugles, soit quinze fois vingt.
Pourquoi ce chiffre ? Parce que trois cents chevaliers furent pris en
otages, en Terre sainte, par les Sarrazins sous le règne de ce roi. Leurs
geôliers leur crevèrent les yeux. Revenus en France, le roi fit
construire cet hôpital pour les soigner. Ils ne devaient être jamais
plus de 300. En fait, la spécialité de l’ophtalmologie ne date que de
la fin du XIXe siècle.
La
construction d’origine de Robert de Cotte (en 1700), fut plusieurs fois
remaniée et il ne reste à ce jour que le porche d’entrée et la
chapelle. Thiers voulut l’exproprier, mais la reine Amélie l’en défendit.
L’impératrice Eugénie fit
ici de nombreuses visites.
Au
n° 26 : Au fond de la cour, à droite, se trouve la Chapelle
Saint-Antoine, de l’hôpital des Quinze-vingts.
Au
n° 48 : La cour du Chêne vert. Son nom est dû à un chêne
abattu vers 1840.
En continuant, nous coupons l’Avenue
Daumesnil, qui est longue de
3,6 km. Elle commence rue de Lyon, tout proche, pour finir Porte Dorée,
au Bois de Vincennes.
Le
viaduc a été construit en 1855 le long de l’avenue Daumesnil
jusqu’au jardin de Reuilly. Sa longueur est de 1020 m et comprend 72
arches. Sa hauteur est de 8 m. La voie ferrée qui connut
ses heures de gloire dans les années 1930, a vu son déclin dans
les années 60. Le 14 décembre 1969, le dernier train quitta la gare de
la Bastille pour être remplacé par la ligne A du RER.
La municipalité décida de transformer l’ancien viaduc en un
centre artisanal comprenant ateliers, boutiques et espaces
d’expositions. Pour ce faire, une fois restaurée, chaque voûte a été
aménagée pour recevoir ces artisans et faire de l’ensemble une immense
vitrine montrant le savoir-faire de nos artisans.
Au-dessus
du viaduc, la voie ferrée devenue inutile a été aménagée en promenade
plantée sur une longueur de 4,5 km.
–
Avant de quitter cette avenue, deux mots sur le général Daumesnil, né
en 1776, mort en 1832. Il avait perdu une jambe à la bataille de Wagram.
Il fut nommé gouverneur du fort de Vincennes et au moment où les troupes
de la Coalition entrèrent à Paris, en 1814, le fort fut encerclé. Un général
prussien lui demanda de se rendre. Il lança cette phrase devenue célèbre :
« Je rendrai Vincennes quand on me rendra ma jambe ! ».
Ce valeureux guerrier avait 83 blessures ! Il est mort du choléra.
Voici
maintenant sur notre droite le Boulevard Diderot. Ce boulevard a été percé en 1851-1852 et portait le
nom de Mazas. En 1879, le nom de Diderot, le philosophe lui fut
donné. Né en 1713, mort en 1784, Denis Diderot est l’auteur de l’ « Encyclopédie »,
d’abord en collaboration avec d’Alembert, puis seul. C’est en 1772
que parut le dernier volume de l’ouvrage. En qualité d’écrivain, il
est l’auteur de Jacques le Fataliste, La Religieuse, Le Neveu de Rameau.
Pour doter sa fille il vendit sa bibliothèque à l’impératrice de
Russie Catherine II. Il est considéré par les connaisseurs comme le
premier critique d’art pour ses écrits sur les « Salons »
de 1765 à 1767.
Du
nom du colonel mort à la bataille d’Austerlitz (un de plus !).
Cette prison occupait une superficie de 130 hectares, en face de la gare
de Lyon. Le principe de base de cette prison reposait sur l’idée de la
prison cellulaire. Suite aux nombreux débats qui avaient secoué différents
pays d’Europe sur l’amélioration des conditions pénitentiaires et
l’évolution de son système. On pensait que l’isolement complet le
jour comme la nuit devait être la meilleure solution. La prison de la
Maison d’arrêt cellulaire Mazas commença en 1845 sur des terrains
jusqu’alors occupés par des maraîchers. Sa construction fut terminée
en 1850. Elle fut considérée comme une prison modèle. Des sommes considérables
furent employées. Deux architectes, Lecointe et Emile-Gilbert en furent
les maîtres d’œuvres. Cette prison devait remplacer l’ancienne
prison de la Force qui fut démolie la même année. Cette prison se
situait rue du Roi-de-Sicile dans le IVe arrondissement.
Cette
prison comportait 1199 cellules distribuées
en six corps de bâtiments réunis les uns aux autres autour d’un
bâtiment en colonnes dont le rez-de-chaussée formait comme un poste de
surveillance avec vue sur chacun des six bâtiments périphériques.
Les
cellules mesuraient 2,60 m de haut sur 1,85 m de large et 3,85 de long. Le
plancher était en briques. Le
mobilier était composé d’un hamac suspendu à des crampons à 50 cm du
sol, une table, un tabouret en bois, d’un bidon à eau, de deux gamelles
en fer battu, d’un siège d’aisance inodore à ventilateur, d’un bec
de gaz et de quatre supports en bois placés aux angles. L’air chaud, en
hiver, était distribué par ventilation, de même en été avec de
l’air frais. Inaugurée le 19 mai 1850, ce jour-là, elle reçut les 841
prisonniers alors détenus à la prison de la Force.
Dans
la nuit du 1er au 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte
fit son coup d’Etat et fit enfermer
les députés de l’opposition comme Odilon Barrot, Berryer, le
duc de Broglie, Falloux, Casimir-Perier, le duc de Luynes, Raspail et tant
d’autres. Victor
Hugo, en s’enfuyant échappa à l’arrestation.
On
notera que jamais personne ne s’échappa de cette prison.
Cette
prison inspira nombre d’auteurs de chansons. Je voudrais citer le
principal, Aristide Bruant, dans une chanson célèbre intitulée
À
Mazas
Pendant
qu't’étais, à la campagne
En
train d'te fair' cautériser,
Au
lieur cd' rester dans mon Pagne,
Moi,
j'm'ai mis à dévaliser,
Mais
un jour, dans la ru' d'Provence,
J'me
suis fait fair' marron su' l'tas,
Et
maint'nant j'tire d'la prévence,
A
Mazas
C’est
en dévalisant la case
D’un'
gerce, un' gironde à rupins,
Qu'on
m'a fait avec Nib de naze,
Un
monte en l'air de mes copain.
Faut
y passer, quoi ! c’est not’ rente
Aussi,
bon Dieu l j'me plaindrais Pas
Si
j'avais d'quoi m'boucher la fente,
A
Mazas.
Cette
prison fut démolie en 1898. En vue de l’Exposition Universelle de 1900,
il avait semblé que les touristes descendant du train à la gare de Lyon
n’auraient pas goûté cette promiscuité… La prison Mazas fut donc
remplacée par la prison de Fresnes.
–
C’est vrai mon oncle, qu’aujourd’hui, on ne peut pas imaginer une
chose pareille, en plein cœur du quartier, une prison face à la gare et
au TGV…Impensable ! Je voudrais ajouter une chose : quand on regarde les façades
de ces immeubles, on voit que la date de leur construction est partout la
même : 1900. Ce qui veut dire que les promoteurs de l’époque
n’ont pas traîné entre la destruction de la prison et la construction
de ces immeubles au style haussmannien… A mon avis, ils ne devaient pas
être tous finis au moment de l’Expo Universelle de 1900…
–
Tu as sûrement raison ! Cet emplacement est aujourd’hui aménagé
par différentes rues qui se trouvent à l’emplacement de la prison,
comme la rue Parrot. On lui a donné
le nom d’un professeur de
clinique infantile Joseph Parrot (1829-1883). La rue Michel-Chasles
du nom du mathématicien (1793-1880). Cette rue est perpendiculaire au
boulevard Diderot, sa longueur est d’un peu moins de 200m, ce qui donne
une idée de la profondeur de la prison. Et la rue Emile-Gilbert du nom de son architecte. À l’angle de la rue Traversière
attardons-nous un instant sur cet immeuble, l’Hôtel Massilia. (Voir
photo).
Nous
voici avenue Ledru-Rollin,
au n° 66, nous avons l’église
Saint-Antoine des Quinze-vingts, construite par Lucien Roy, en 1903,
en pierre, brique et fer. Elle donne également au n° 57 de la rue
Traversière.
Ledru-Rollin
était un homme politique, né en 1807, mort en 1874. Il avait adhéré au
socialisme. Il fomenta
d’abord une émeute en 1849 qui échoua, condamné à la déportation
par contumace, il s’exila ; puis un complot en 1857 contre Napoléon
III qui échoua aussi, de nouveau en exil et de nouveau condamné par
contumace à la déportation. C’est seulement en 1870 qu’il fut
amnistié et qu’il rentra en France. Il siégea, l’année de sa mort
comme député en 1874 sur les bancs de l’extrême-gauche.
Descendons
à présent jusqu’aux berges et à la pointe de l’avenue Ledru-Rollin
où se trouvait une usine de distribution d’eau. Démolie, elle a cédé
la place à un immense bâtiment de l’architecte Zublena. À
l’origine, il était prévu
pour une préfecture de police, mais au cours de sa construction, il a
changé de destination. Prévu pour 450 fonctionnaires, il a du en héberger
650 pour la Direction de l’Action Sociale de l’Enfance et de la
Santé, la DASSES.
Deux
mots sur le bâtiment principal de la Place
Mazas, je veux parler de l’Institut
médico-légal. À l’origine, cette place devait être
semi-circulaire mais rien de tout cela n’a été réalisé car en 1913,
on implanta l’Institut en remplacement de la Morgue située quai de l’Archevêché, nous en avons parlé au
cours de la balade au Mémorial de la déportation et du square de
l’Ile-de-France… Ce bâtiment a été construit par Albert Tournaire
(1862-1958) en 1914 qui a donné son nom au square situé juste devant
l’Institut et qui agrémente ce lieu un peu sinistre.
–
À la prochaine balade, nous parlerons longuement de la forteresse de la
Bastille
avant
d’avancer plus avant dans la rue du Faubourg Saint-Antoine, lieu révolutionnaire
s’il en est !
Sources :
En
plus de mes travaux personnels, de compilation et de repérage des lieux,
j’ai utilisé les ouvrages suivants :. « Dictionnaire
historique des rues de Paris " de Jacques Hillairet.
.«Le
12e arrondissement ». Collection Paris en 80 quartiers.
Mairie de Paris.
Remerciement
tout particulier à Pascal de
Pindray pour son aide sur la chanson intitulée «À Mazas ».
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