
Une fois la pointe de
lîle contournée, nous passons devant le square dédié au sculpteur et
peintre
Barye, que nous visiterons au-cours dune prochaine balade. À présent, mon cher
neveu, nous pouvons continuer notre périple à-travers lîle St-Louis en empruntant
le quai dAnjou.
Devant le n° 1, nous sommes au pied de lHôtel Lambert, bâti en 1640 et dont lentrée,
en fait,
est au n° 2 de la rue Saint-Louis-en-lIle
perpendiculaire au quai. Façade, rotonde et jardin sont des plus magnifiques qui soient.
Le tout jeune Le Vau montra ici ses immenses qualités darchitecte en sachant
construire la plus magnifique des demeures du XVIIIe siècle. Les peintres
Lebrun et Lesueur travaillèrent cinq ans à décorer lintérieur. On doit à Lebrun
une galerie dHercule qui annonce la galerie des glaces de Versailles. Cet hôtel
avait été construit pour un trafiquant notoire : Jean-Baptiste Lambert. À sa mort,
quatre ans après, cest son frère Nicolas Lambert de Thorigny dit Lambert le Riche,
Président à la Chambre des comptes qui en devint propriétaire. Sa charge quil
remplit pendant 46 ans lui valut une immense fortune. Il fut condamné par une amende dun
million de livres pour sa compromission au moment du procès de Fouquet. Il pouvait payer,
car il possédait 14 maisons dans lîle !
En 1729, la
propriété fut acquise par le fermier général Dupin et dix ans après par le marquis du
Châtelet dont la femme eut pendant plus de 15 ans une liaison avec Voltaire. Il fut
également la propriété de la princesse Czartoryska dont son époux fut banni de sa patrie en 1813 après le
soulèvement des Polonais contre les Russes. Il y mourut en 1861, à lâge de 90
ans. Il y donnait des fêtes somptueuses et lhôtel devint un foyer culturel
polonais (où lon y rencontrait George Sand et Chopin, Delacroix, et surtout le
poète Adam
Mickiewicz de la bibliothèque polonaise du n° 6 du quai dOrléans). Dans
les années daprès-guerre, il a été habité par la comédienne Michèle Morgan et
son mari Henri Vidal. Il appartient aujourdhui à la famille Rothschild.
Sur le quai, juste en
face, sur le parapet, une petite plaque en émail indique le niveau de la crue de janvier
1901.
Au n° 3, cest lHôtel du XVIIe
siècle construit par Le Vau pour lui-même. Sa façade est la continuation de celle de lhôtel
de Lambert. Par la suite, cette maison devint une annexe de lhôtel. Dans lîle,
cet architecte construisit un grand nombre dhôtels et maisons particulières :
lHôtel de Lambert, de Lauzun, de Hasselin
Le Vau avait épousé la fille dun notaire qui était
propriétaire du terrain voisin à celui de lhôtel de Lambert, ainsi ce fut
facile pour lui dédifier un hôtel sur ce terrain.
Et pardi !
Ses quatre premiers
enfants naquirent ici, sa mère y mourut. Il habita cet hôtel de 1642 à 1650, alors quil
travaillait à lHôtel Lambert tout
proche.
Une fois disparu, en
1670 son hôtel fut la propriété de la famille de La Haye qui était déjà
propriétaire de lhôtel de Lambert. Cette famille sempressa de réunir les
deux bâtiments.
On nest
jamais si bien servi que par soi-même !
Au n° 5, de 1640 : Petit hôtel de Marigny. Il avait été construit
pour un marchand de fer ! Cet hôtel, entre autres, eut comme propriétaire le
descendant de Rennequin, lun des créateurs de la machine de Marly, considérée par
Louis XIV comme la huitième merveille du monde. La machine de Marly avait pour fonction damener
leau aux fontaines du parc de Versailles.
Au n° 7, hôtel de la même époque que le précédent.
Il a été construit pour le même propriétaire. Depuis 1843, il est le siège de la
corporation des maîtres boulangers. La plaque explique : « 1642. Hôtel construit pour Jacques Brebart marchand de
fer. Siège de la corporation des Maîtres-Boulangers depuis 1843 ».
Aux nos 15, 13,
11, 9, ce sont des hôtels construits en 1641 et 1642
pour Jean-Baptiste Lambert, déjà propriétaire de lhôtel de Lambert. Après lui,
ces hôtels appartinrent à ses héritiers qui, dabord, les louèrent puis ensuite
les vendirent.
Le n° 9. Au dernier étage, Honoré Daumier,
dessinateur et caricaturiste habita de 1846 à 1863, soit 17 ans. Il y demeura jusquau
moment où il devint aveugle. Sa mère mourut ici. Latelier de lithographie quil
avait installé a été fréquenté par les peintres de son époque comme Millet,
Delacroix, etc.
Au n° 15, datant de 1645, cet hôtel a été construit
pour Nicolas Lambert de Thorigny président de la Chambre des comptes. Le Vau est larchitecte
présumé.
Au n° 17, cest lHôtel
de Lauzun. Actuellement en travaux, malheureusement pour nous. Charles Gruÿn
(fils dun tavernier enrichi), alors commissaire provincial de lartillerie
acheta en 1641 un terrain à un certain des Bordes sur lequel il fit bâtir cet hôtel
quinze ans plus tard. Par la suite, Charles Gruÿn devint commissaire général des vivres
de la cavalerie légère et était intéressé dans la gabelle. Il épousa une veuve dont
le mari défunt avait été maître dhôtel dAnne dAutriche. Il se fit
appeler Gruÿn des Bordes. Il est vraisemblable que lhôtel fut construit par Le Vau
entre 1656 et 1657. Il neut pas loccasion de vraiment profiter de sa belle
demeure, car Colbert le fit poursuivre pour malversation en 1662 et ses biens furent
confisqués, mais pas lhôtel car il avait été mis au nom de sa femme lors de son
mariage !
Pas fou, le
gars !
Quand il mourut en 1680,
quinze ans après sa femme, ses deux enfants renoncèrent à la succession par peur des
dettes à rembourser! En 1682, les hommes daffaire vendirent lhôtel à
Antonin Nompar de Caumont, comte puis duc de Lauzun, (1633-1723), alors âgé de 49 ans.
Celui-ci venait de passer neuf ans au fort de Pignerol où Louis XIV lavait fait
enfermer pour lempêcher dépouser la duchesse de Montpensier, la Grande
Mademoiselle, cousine germaine du roi. Libéré en 1681, il reçut une somme de 400 000
livres en compensation de ses biens confisqués et il lui fut prescrit de se tenir
toujours à deux lieues de distance du roi. Il épousa aussitôt la Grande Mademoiselle et
acheta lhôtel de Gruÿn des Bordes. Il y résida trois ans à peine, car le ménage
nallait pas fort. Ils finirent par se brouiller définitivement en 1684. Lannée
suivante, il vendit son hôtel au petit-neveu du cardinal de Richelieu.
En 1779, lhôtel
fut vendu au marquis de Pimodan, « mestre de camp de cavalerie », il fut connu
sous le nom de Hôtel de Pimodan. Après la
Révolution, lhôtel eut plusieurs propriétaires, dont Jérôme Pichon, auditeur au
Conseil dEtat, bibliophile et collectionneur qui le loua à Baudelaire
entre 1843 et 1845. Le poète habita au second étage un petit appartement donnant sur le
quai et dont le loyer annuel était de 350F. Habita également ici, en 1845, le peintre
Ferdinand Boissart qui y fonda le « Club des haschischins ». Théophile
Gautier en 1845 y fut aussi locataire. Meissonnier fréquenta aussi ce club. Dans ce club
très spécial, on goûtait à une sorte de confiture, mélasse faite dun mélange
de chanvre indien, de miel et de pistaches et Théophile Gautier écrivait que « sa
digestion vous plongeait dans une hébétude délicieuse mais fatale
»
En 1899, la Ville de
Paris lacheta à Jérôme Pichon pour 300 000 F avec comme idée den faire un
musée de lart décoratif du XVIIe siècle. Comme la ville abandonna lidée,
elle revendit lhôtel en 1905 au propre petit-fils de Jérôme, Louis Pichon.
Celui-ci entreprit la
restauration définitive de lhôtel et le mit dans létat où il se trouve
actuellement. La Ville de Paris le lui racheta en 1928 pour 4 millions de Fr. Aujourdhui,
lhôtel de Lauzun sert à des réceptions de galas.
Au n° 21, de 1637. Hôtel construit en 1637 par Le Vau
pour un conseiller et maître dhôtel du roi.
Au n° 23, de 1642. Hôtel du ci-devant président
Perrot. Ici demeura le sieur Gabrile Sionite maronite de Liban. Professeur darabe au
Collège de France.
Au n° 33, de 1640. Maison de Marin Le Roy, sieur de
Comberville, titulaire du 21e fauteuil à la fondation de lAcadémie
française. Plaque.
Au n° 39, de 1727. Propriété ayant appartenu à un
contrôleur de
rentes.
Aujourdhui, au fond de la cour, Théâtre de lIle
St-Louis. Petit théâtre plein de charme. Voir photo.
Lendroit
est magnifique ! Regarde la verdure ! Ce nest pas croyable, en plein cur
de Paris !
Aux n° 41 et
n° 43 se situait le magasin de nouveautés Au Petit Matelot ( de 1790 à 1932) évoqué par
Balzac dans son roman César Birotteau.
Quai Bourbon
Sous la Révolution,
ce quai sappelait Quai de la République.
Au
n° 1,
propriété appartenant au procureur de la prison du Châtelet, puis à ses
descendants. Au rez-de-chaussée, se trouvait le cabaret du Franc-Pinot, du XVIIe siècle. Il fut fermé en
1716, car la police trouva dans ses caves une grande quantité de libelles et de pamphlets
à lencontre du Régent, Philippe dOrléans. Aujourdhui, cest un
bar à vins et restaurant.
Au n° 3, cest une curiosité, mon neveu, à ce
numéro, il y avait, pendant la guerre de 1914-1918, une magnifique boutique dépicerie
datant de Louis XV. C'était parait-il quelque chose dunique! Un antiquaire a fait
démonter les boiseries et les a revendues au Metropolitan Museum de New-York
Extraordinaire, non!
Au n° 11, de 1636. Cétait, en fait, deux
immeubles de rapport construits lun derrière lautre, pour le compte du
peintre du roi Louis XIII et de Marie de Médicis, Philippe de Champaigne. De 1830 à
1852, cétait le Commissariat de police du quartier.

Au n° 15, de 1637. Propriété de Jean de Charron,
contrôleur de lextraordinaire des guerres en Picardie. Le peintre Philippe de
Champaigne a peut-être eu son atelier ici, au fond de la cour, côté gauche, dans la
grande pièce au 1er étage. Cest dans cette pièce que le peintre et
poète Emile Bernard (1868-1941) eut son atelier où il mourut à 73 ans. Il est le
créateur du synthétisme et linitiateur de lévolution du groupe de
Pont-Aven. Il est considéré comme le père du symbolisme. Vécut ici vers 1840 le
peintre des batailles Meissonnier (1815-1891).
Au n° 19, de 1635. Propriété de Nicolas de Jassaud,
maître des requêtes. Cet endroit est célèbre grâce au sculpteur Camille Claudel, sur du poète et
dramaturge Paul Claudel. Elle a habité ici de 1899 à 1914. On peut lire sur la
plaque : Camille Claudel 1864-1943.
Vécut et travailla dans cet immeuble au rez-de-chaussée de 1899 à 1913. À cette date
prit fin sa brève carrière dartiste et commença la longue nuit de linternement.
« Il y a toujours quelque chose dabsent qui me tourmente ». Lettre à
Rodin. 1886.
Au n° 25 : Hôtel de Nevers qui portait à lorigine le nom de maison du roi
Henri III.
Au n° 31 : Lécrivain Charles-Louis
Philippe (1874-1909) a habité cet immeuble de 1905 à 1907. Employé modeste, fils de
sabotier, il a été le romancier des humbles : lire Bubu de Montparnasse (1901) et Croquignole (1906).
Au n° 43, de 1658. Hôtel construit par Charles Toizon
et Anne Le Vau, sur de Louis Le Vau. Très belle façade blanche et balcons bleus et
balustrade.
Aux n° 45 et 47.
Hôtel construit, en 1659, pour lui-même, par le frère cadet de Louis Le Vau, François
Le Vau. En façade, deux médaillons du XVIIIe siècle, représentant Hercule abattant Nessus. Ces médaillons ont donné
le nom de « Maison du Centaure » à cet hôtel. Lécrivain Charles-Louis
Philippe a été locataire dun petit logement au 3e étage doctobre 1907 jusquà
sa mort en 1909, à 35 ans. À cet étage a habité pendant plus de quarante ans Louise
Faure-Favier qui reçut un grand nombre de personnalités de son époque telles que :
Apollinaire et Marie Laurencin, Giraudoux, Carco, Max Jacob, Cocteau, Léautaud, entre
autres.
De même, au 1er
étage, la princesse Bibesco tint longtemps un salon littéraire fort réputé. Elle
mourut ici en 1973.
Cest un endroit
unique pour sa vue exceptionnelle sur le Seine et la cathédrale de Paris.
Au n° 49, immeuble construit également en 1659, par
François Le Vau qui y mourut en 1676, à lâge de 63 ans.
Au n° 51, immeuble construit également par François Le
Vau en 1659. Douze ans après, il le cède au neveu du peintre Philippe de Champaigne. Cest
à lui quest due la décoration intérieure de léglise Saint-Louis-en-lIle.
Il faut dire quil en était marguillier. (Le
marguillier est un laïc qui est chargé de la garde et de lentretien dune
église).
Au n° 53, limmeuble a été construit comme le n°
43 par Charles Toizon. En 1685, ce fut la propriété dHubert Graillet qui avait
épousé la femme de François Le Vau après la mort de celui-ci. Le poète symboliste
Stuart Merril (1863-1915), dorigine américaine a habité le plus bel étage de cet
immeuble.
Le n° 55 a été construit, en 1686, pour un gentilhomme
du duc dOrléans.
Eh
bien, mon cher neveu, satisfait ? Jai limpression que nous sommes rodés
à présent et
que nous
ne sentons même plus la fatigue du parcours
Quen penses-tu ?
Tout à fait, mon oncle ! Tu mas donné, une
nouvelle fois, cette envie et ce goût de lhistoire jusque dans le détail.
Evidemment, parfois, ça reste lointain de moi, avec des personnages importants, certes,
mais inconnus aujourdhui. Les bâtiments quils nous ont laissés sont saisissants de beauté, alors pour en goûter
tout le charme, il faut bien se plonger dans la grande et la petite histoire.
Cest vrai et si tu es daccord,
la prochaine balade nous amènera à lintérieur de lîle
pour voir ce qui sy passe !
Sources :
En plus de mes travaux
personnels, jai utilisé les ouvrages suivants :
. « Dictionnaire
historique des rues de Paris " de Jacques Hillairet.
. Encyclopédies et
dictionnaires divers. |